jeudi 4 décembre 2008

Albert et Frank, histoire revue et corrigée

"Venez vite !"
Le message du professeur Nicolaï Sarkozov, pour être lapidaire n'en était pas moins impératif.
Conscient de l'importance de la mission qu'il m'avait confiée naguère et pressé de retrouver l'olibrius qui avait titillé ma curiosité, je m'étais précipité à l'adresse - secrète - qui m'avait été communiquée.

A mon arrivée, Sarkozov, affublé d'un nouveau look à chier, réglait les derniers détails avec Henry Guénot, en charge des recherches historiques, son "factotum", comme il l'appelle, "un type grâce à qui je dis jamais de conneries".




Il vint vers moi, sa documentation sous le bras, me caressa le dos, me malaxa l'épaule et se fendit d'un sourire jusqu'aux oreilles, avant de s'installer à une table et de m'inviter à prendre place en face de lui.

- Allons-y, Alonzo ! Einstein, vous connaissez ?

- Euh... plus ou moins... E = mc2, la relativité, tout ça...

- Vous parlez de qui ?

- Ben... Einstein... Albert Einstein.

- Ha ! Ha ! J'le savais, j'le savais ! Et l'autre ?

- L'autre ? Je connais que celui-là.

- Et Frank, hein ? Frank Einstein, ça vous dit rien ?

- Hin, hin ! Très original ! Vous savez que j'ai écrit un billet sur Frankenstein dans mon blog ?

- Parlons-en justement... (Sarkozov compta sur ses doigts) Un, le nom est mal orthographié. Deux, des erreurs dans les dates. Trois, une histoire de roman qui n'a rien à voir avec la réalité. Et quatre, je l'ai gardé pour la fin, un contenu bourré d'inepties. Vous parlez de symboles, de symboles, de symboles. Qu'est-ce qu'on s'en fout des symboles ! Les pieds sur terre et le cul au ras des pâquerettes, voilà ma devise ! Bon, passons, on n'a pas beaucoup de temps.

Le Maître plaqua, d'un geste théâtral, sa main sur le paquet de feuilles qu'il avait devant lui.

Pour la suite, je lui laisse la parole et la responsabilité entière de ses propos.

Albert et Frank sont jumeaux. Frank, le plus grand, très éveillé pour son âge, subit les caprices d'Albert qui profite de sa constitution fragile pour se faire dorloter plus que de raison.

Albert et Frank peu après leur naissance
Remarquez l'oeil déjà fourbe d'Albert
(Archives du Musée du Bébé)

A un an, les deux frères ont déjà des comportements très distincts. Tandis qu'Albert fait son intéressant en construisant une réplique de Notre Dame en Lego, Frank, plein de candeur, soulève, par une curiosité bien légitime, la jupe de sa poupée Barbie pour voir comment c'est fait. "heu aime ses heu !", répète-t-il, ce qui, traduit du bébé, signifie "j'aime ses yeux !".

A sept ans, alors qu'Albert joue bêtement aux échecs en faisant les deux partenaires, le brave petit Frank s'amuse gentiment à dessiner des têtes à Toto en criant : "heu aime se heu ! heu aime ses heu ! ".



Une "tête à Toto" de Frank
pleine de charme et de naïveté
(Collection privée)

Plus tard encore, voilà notre imbécile d'Albert étudiant les ouvrages de physique les plus incongrus, pendant que le cher Frank - qui fait déjà son mètre quatre-vingts - poursuit sa nourrice autour de la table de la salle à manger tout en lui hurlant son affection : "heu aime ses heu ! heu aime ses heu !", "j'aime ses yeux ! j'aime ses yeux !".

Jusqu'au jour où Albert, avide d'honneurs et poussé par l'envie, accapare l'expression favorite de son frère, tout en la transformant subtilement pour cacher la merde au chat.
"Heu aime ses heu" devient "E=mc2".
On connaît la suite : la gloire pour ce faux-cul d'Albert, l'oubli pour l'innocent Frank.
Mais, s'il n'y a pas de justice terrestre, il y en a une divine !
Frank, fou de douleur, étrangle ce frère indigne qui ne méritait plus de vivre.



Le visage tordu par la rage, Frank met fin
à la criminelle existence d'Albert
(Grotte de Lascaux, au fond du couloir à droite)


Dès la fin de ce discours, Nicolaï Sarkozov bondit sur ses pieds, me salua brièvement et s'éclipsa par une porte située dans un coin de la pièce. Avant qu'il ne la referme, quelques mots d'une chanson d'amour sur un fond de guitare parvinrent jusqu'à moi.

Tu sais quoi, Toto ? J'espère que le Sarkozov ne va pas s'arrêter en si bon chemin, ce serait dommage.

mercredi 3 décembre 2008

Les textes définitifs : Frankenstein ou le Prométhée Moderne

Le sixième jour, Dieu, voyant que tout était bien, fabriqua un machin avec un peu de terre et lui souffla dans les narines. Et ce fut Adam. Ensuite, il décida de faire du neuf avec du vieux et préleva une côte à Adam pour créer Eve. Comme il n'y avait personne d'autre et que ses créatures risquaient de trouver le temps long, il leur offrit un jardin.
Dans le petit terrain que Dieu avait aménagé pour Adam et Eve, il y avait un arbre dont il ne fallait pas manger les fruits. Naturellement, dès que Boss a eu le dos tourné, les deux autres se sont précipités vers l'arbre de la connaissance du bien et du mal pour s'en mettre jusque là. Ils avaient pourtant des circonstances atténuantes. D'abord, avec tout l'espace disponible, pourquoi Dieu n'a pas planté cet arbre ailleurs, si c'est pas du vice... Ensuite, c'est le serpent, ce faux-cul, qui a poussé Eve à la faute. Quelle faute ? Tu veux que je te fasse un dessin ? Bref, Dieu, c'est un brave type, mais faut pas trop le faire chier. Après un savon carabiné que je te laisse le soin de lire dans le texte, il a attrapé Adam et Eve par la feuille de vigne et il les a foutus dehors.
On a pas fini de le regretter. Regarde autour de toi, allume la télé, lis les journaux et tu verras les conséquences de ce petit écart de conduite.

A la même époque ou à peu près (je ne peux pas te préciser, je n'ai pas de calendrier à portée de main), Prométhée créa les Hommes en modelant des figurines d'argile auxquelles Athéna insuffla la vie.
Alors, autant l'histoire d'Adam et Eve, avec ses quatre malheureux personnages, est facile à suivre, autant celle de Prométhée est un véritable casse-tête avec sa smala de dieux, sur-dieux, sous-dieux, demi-dieux, sa flopée de mariages, d'adultères, de pères, de mères et de gosses. Ne compte pas sur moi pour te détailler les tenants et les aboutissants, retiens juste deux choses :
1- Prométhée a donné le feu aux Hommes malgré l'opposition de Zeus.
2- Zeus, pour le punir, l'enchaîne au Caucase et lui fait bouffer le foie par un vautour.
Sympa !

Au 16e siècle, la légende veut que le Rabbin Yeouda Loew Ben Bezalel, dit Rabbi Loew, prît de la glaise, en fît une ébauche d'humanoïde destiné à l'aider, dans les narines duquel il souffla pour lui donner vie. Prudent, il avait écrit le mot emeth (vie) sur le front de la créature, le Golem. Il lui suffisait d'effacer la première lettre du mot pour en faire meth (mort), ce qu'il faisait chaque soir. Or une veille de shabbat, il oublia de mettre le Golem en léthargie. Celui-ci, perturbé comme un qui n'a pas l'habitude de travailler pendant ses jours de repos, se mit à tout casser dans le coin. Au fur et à mesure, il augmentait en taille. Quand le Rabbin réussit à le rattraper, le Golem était trop grand pour qu'on puisse atteindre son front. Rabbi Loew, sachant que le Golem n'avait que de la boue en guise de cervelle, prétendit que ses lacets étaient défaits et demanda au monstre de les lui renouer. Celui-ci se baissa et mit ainsi son front à la hauteur de son maître qui, ni une ni deux, le renvoya à son état de remblai et l'y laissa à jamais.

Entracte existentiel :
Un jour, j'ai pris de la terre, j'en ai fait un bonhomme et j'ai soufflé dans ses narines. C'est ce jour-là que j'ai compris que je n'étais pas un Dieu (pas même un rabbin).


En 1797 Goethe publie un poème intitulé Der Zauberlehrling. S'il l'avait écrit en français, ça s'appellerait L'Apprenti Sorcier. Paul Dukas s'en est inspiré pour faire une musique et Walt Disney s'est servi des deux dans un épisode de Fantasia, avec Mickey Mouse dans le rôle-titre.
Résumé : l'apprenti veut se prouver qu'il est aussi fort que son maître et s'attire les foudres de celui-ci après avoir déclenché une catastrophe.

On prend toutes ces légendes, on les agite, on les laisse mijoter, on les mêle à l'air du temps et en naissent d'autres histoires. Parfois, un de ces rejetons prend le pas sur les autres, intégrant et phagocytant à un point tel les légendes et les avatars qui l'ont engendré que, pendant longtemps, toute tentative d'une nouvelle déclinaison du thème ramènera immanquablement, que ce soit explicite ou implicite, à ce qui, au départ, n'était qu'un texte parmi d'autres. C'est d'un de ces romans que je voulais t'entretenir.

Supposons maintenant que tu t'appelles Marie Shelley (du moins pas encore, Shelley n'est que ton amant). Un soir de 1816, tu es en compagnie de ton futur mari et de Byron. Il pleut, il y a des éclairs et du tonnerre, et, afin d'ajouter à l'ambiance, après une discussion sur les romans gothiques allemands, Byron propose que chacun d'entre vous écrive une histoire de fantôme. Tu dis OK et ça te sort de la tête.
Quelque temps plus tard, après avoir lu des bouquins qui font peur, tu te shootes à l'opium, tu fais un cauchemar et quand tu émerges, tu ponds, en dix jours, la première mouture de Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Deux ans plus tard, le roman est publié et, depuis bientôt deux cents ans, les situations et les personnages sont restés des archétypes.

Inutile de raconter l'histoire. Tout le monde en connaît la trame, dans ses grandes lignes. On peut aller plus loin en lisant le livre qui est au programme des filières littéraires en Angleterre, tellement la richesse des thèmes abordés et la manière dont ils sont traités dépassent le cadre d'un simple roman d'anticipation.

On y retrouve le feu du ciel (foudre de Zeus ou souffle divin) qui donne vie au monstre que Frankenstein avait créé à son image. La créature innocente qui n'a pas demandé à vivre et qui ignore tout du bien et du mal. Son rejet par celui qui l'a engendré. Le savant dépassé par les conséquences de ses recherches. La peur de celui qui est différent. L'apprentissage de la violence. Le désir de vengeance. La vaine quête de l'amour des autres. La nature comme ultime refuge.

C'est en mêlant magistralement tous ces symboles que Mary Shelley a fait de son monstre un personnage mythique (et de Boris Karloff une vedette), au point qu'on lui donne souvent le nom du savant (juste retour des choses).

Marie Shelley, habitée par la Créature

N'aie pas peur, Toto, je te trouve beau et je te garderai toujours auprès de moi. Mais ne me trahis pas, sinon gare !

samedi 29 novembre 2008

Brève rencontre

- Guy Môquet, vous connaissez ?

J'émerge de ma somnolence pour jeter un oeil vers celui qui s'est assis près de moi sur le banc. Haut comme trois pommes, trois pommes et demie, il est agité de mouvements nerveux et jette des regards inquiets autour de lui. Je consens à lui répondre.

- Guy Môquet ? C'est pas le mec dont l'autre banane nous a bassiné pendant des mois ?
- Tout juste, Auguste ! Je vois que je ne me suis pas trompé sur votre compte, Monsieur Jlcheche.
- Vous êtes qui ?
- Professeur Nicolaï Sarkozov, historien.
- Et vous me connaissez de quoi de qu'est-ce, Monsieur le professeur ?
- Hé, hé ! J'ai mes sources. Mais je vais tout vous expliquer...

Il a intérêt à ce que je les agrée, ses explications. Je n'aime pas trop qu'on me débarque sur le râble avec un air d'en avoir deux et qu'on en sache un peu trop sur moi. Policier ? Espion ? Dealer ? Gangster ? Il a une tête qui me rappelle vaguement quelqu'un, mais qui ? Quelque chose dans sa mise et dans son visage sonne faux, mais quoi ? Je l'ai peut-être rencontré ailleurs, mais où, mais quand ?
Je fais mine de consulter mes messages sur mon portable et, ni une ni deux, je lui tire le portrait, on ne sait jamais.





- Je vous écoute... professeur.
- Appelez moi Maître. Bien, je n'irai pas par quatre chemins. Depuis cette affaire de Guy Môquet, j'ai décidé de m'intéresser à l'Histoire et j'ai besoin de quelqu'un comme vous. J'ai vu votre blog, on est fait pour s'entendre. Subtilité, intelligence, discours péremptoire, expression des vérités premières, tout nous unit.

A partir de là, ça se mélange un peu. D'un discours entrecoupé de tics et de gestes tranchants, je retiens que Nicolaï Sarkozov occupe de très hautes fonctions (?) qui l'empêchent de mener ses recherches au grand jour. Le seul à qui il fasse confiance est un certain Guénot qui l'aidera dans sa quête et qui lui fournira de la documentation. Quant à moi, tenu au plus strict devoir de réserve, je ferai le lien avec le reste du Monde (du moins dans ce domaine-là, précise-t-il) : "je serai le Sherlock Holmes de l'Histoire, vous serez mon Watson".

- Surtout, que Carla n'en sache rien. Déjà qu'elle trouve que je la délaisse...

Qui est cette Carla (à moins qu'il n'ait parlé de Laetitia ou de Barbara), Dieu seul le sait.

Soudain, il saute sur ses pieds.

-Vite, tenez ma carte, fait-il en me tendant un bout de bristol. A bientôt, je compte sur vous !

Il part précipitamment, s'arrache des touffes de cheveux et de poils qu'il balance dans une poubelle, retire vivement son manteau qui couvre un survêtement. Je le vois s'éloigner en petites foulées dans une allée, quand deux malabars le rejoignent, l'encadrent et se mettent à courir à ses côtés.

C'est bien ma veine, ça, Toto, de tomber sur un échappé de l'asile !


mardi 25 novembre 2008

Les lois du hasard ont récidivé

Et maintenant ...



Jean-Marie Gustave Le Clézio
Prix Nobel



Johnny Hallyday
Futur retraité




Pas plus tard qu'il y a peu, je t'entretenais de ma jeunesse tumultueuse.
Pour ce faire, j'ai arpenté le web à la recherche de quelques photos qui pourraient mettre de la couleur. Comme j'évoquais brièvement Claude Réva pour les besoins de la cause, je tapai son nom dans le goût d'gueule. Et là, j'apprends qu'il est mort l'an dernier. Un mec que j'avais connu jeune et en pleine santé. Ça fait drôle. Tu me diras qu'il n'y a rien que d'ordinaire dans cet événement, la mort fait partie de la vie, etc., etc... La ferme !

Attends la suite, c'est pas pour rien que je m'échine à trouver un titre.

Depuis quelques années, lorsqu'il y avait une manifestation dans ma commune, un type la filmait, pour lui-même, pour une association, pour la mairie, je ne me suis jamais posé la question.
Bon, inutile de faire durer le suspense, c'était Claude Réva, tu l'avais compris.
Bien entendu, je n'en savais rien.
Quoi ! Je ne l'ai pas reconnu ? Comment se peut-ce ? Ben non ! On ne faisait que se croiser. Il me laissait regarder mon spectacle, je le laissais faire son film, ignorant qui il était, incapable de faire le rapprochement entre celui qui déambulait, caméra à l'épaule, et celui que j'avais rencontré il y a...quelques années.

Comme des milliers d'artistes, il avait continué à chanter loin des projecteurs, artisan de la véritable culture, celle qui se moque des parts de marché, celle qui se partage. Il avait maintenu le cap, à contre courant.



L'inconnu à la caméra



Et un petit coup de philosophie (de comptoir) :
C'est quand les gens sont morts qu'on a l'impression que ça aurait changé quelque chose de les connaître mieux.

Keskia, Toto, il est pas gai, mon billet ?
La prochaine fois, je me mettrai un nez rouge.

dimanche 23 novembre 2008

Les lois du hasard ou le mélange des genres

















Chapitre 1 : Le jour où j'ai failli avoir le Nobel de littérature.


Un train entre Paris et Nice.
Un train d'hier, avec le couloir qui longe les compartiments sur un côté du wagon.
J'avançais en tanguant, quand, levant les yeux, je vois venir vers moi... Johnny.
Oui, tu as bien lu, Johnny himself, le nôtre, le seul, l'unique Johnny Hallyday.
Celui pour qui les filles s'arrachaient le slip et les garçons cassaient les fauteuils.
Avec ses cheveux blonds ondulés et ses yeux bleu clair.
Nos regards se sont croisés trois secondes, quatre peut-être, le temps de se rejoindre, d'effectuer une petite passe tauromachique et de poursuivre chacun notre chemin : le sien jalonné d'or, de myrrhe et d'encens, le mien de centimes et de crottes de chien.
Sacré Johnny ! Sa timidité maladive l'a retenu de m'aborder. Dommage ! On aurait fait connaissance, on serait devenus copains, j'aurais passé l'été à Saint-Tropez et l'hiver à Los Angeles et j'aurais profité comme tant d'autres de sa générosité pour m'en mettre plein les poches.
Tant pis pour lui. Fin d'une belle amitié.

Tout ça pour en venir au fait.
A quelque temps de là, je traînais mes guêtres dans un village de l'arrière-pays niçois, ne me demande pas où ni pourquoi, ça ne te regarde pas. Je te plante juste le décor.

Donc un village.
Pas loin, Nice.
Une amie qui connaît des artistes et que nous appellerons Mireille, pour que cette histoire fleure bon la Provence (en fait, c'est son nom). Elle me fit rencontrer Claude Réva à ses débuts et je me fendis de quelques sous pour acheter son disque A contre courant, disque qui comportait, entre autres chansons engagées, une réponse à Mourir pour des idées (le monde est petit).
Un livre que je venais de lire : Le procès verbal de Le Clézio, un premier roman à tomber par terre écrit par un type à peine plus vieux que moi.

Un jour, Mireille me propose d'aller casser la graine à Nice avec quelques-uns de ses amis dont Claude Réva et un certain Jean-Marie l'écrivain. Ah bon, un écrivain ? Jean-Marie Le Clézio, tu connais ? Ben merde alors ! L'occasion de rencontrer ce mec de presque mon âge, déjà une célébrité, dont le roman m'avait laissé sur le cul, tu parles que j'étais d'accord.

Chapitre 2 : Le jour où j'ai eu le Nobel de littérature.

Comme tu peux t'en douter, ce repas n'a pas eu lieu pour quelque obscure raison. Sans quoi je ne serais pas là à te tenir la jambe. Je serais devenu pote avec Le Clézio, il m'aurait poussé à écrire, j'aurais pondu des best-sellers et je serais en train de me dorer la couenne en Amérique du Sud.
Le Clézio a poursuivi son chemin parsemé d'or, de myrrhe et d'encens, tandis que je poursuivais le mien plein d'ornières et de pièges à cons.

L'autre soir, je comatais devant ma télé en agitant mollement mes orteils dans mes charentaises, lorsque je vois qui, dans le poste ? Je te le donne en mille. Non, pas Johnny, essaye un peu de suivre. Le Clézio himself en personne, qui venait de recevoir le prix Nobel de littérature. Celui-là même dont j'avais lu le livre (le premier, il paraît qu'il en a écrit d'autres depuis). Je ne peux pas me départir d'une certaine fierté, conscient d'être un peu pour quelque chose dans cette reconnaissance.
Sacré Jean-Marie !

Dis donc, Toto, tu es prié de ne pas faire n'importe quoi quand tu traduis ma frappe.
Dans l'en-tête du chapitre 1, j'avais tapé "voir" et non "avoir".
Et dans celui de chapitre 2, j'avais tapé "vu" et non "eu".
Fais gaffe.

lundi 6 octobre 2008

Brassens vs Goldman



En 2001 (c'est fou comme le temps passe), France 2 rendait un hommage à Georges Brassens. Je te passe les détails techniques, les vedettes chargées d'interpréter une chanson du bonhomme, le public de figurants, les petits fours et la jovialité de Drucker en charge de la présentation. J'en viens au sujet.

Jean-Jacques Goldman a entonné une chanson de tonton Georges après avoir répété à l'envi que, Brassens, il ne connaissait pas. Pourquoi il était là, mystère. Peut-être un disque à promouvoir... A ce moment-là, déjà, il a commencé à me gonfler, mais ça n'était pas fini.

Maxime Le Forestier (grand fan de Brassens, il a enregistré l'intégralité des ses chansons) avait choisi d'interpréter Mourir pour des idées, à mon sens une des plus belles chansons pacifistes de tous les temps.

Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente

Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi

Avec un soupçon de réserve toutefois

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente


Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure

Allons vers l'autre monde en flânant en chemin

Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure

Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

Or, s'il est une chose amère, désolante

En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater

Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente


Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre

Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas

Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire

C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas

Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent

Bientôt Mathusalem dans la longévité

J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté

"Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente"

Des idées réclamant le fameux sacrifice

Les sectes de tout poil en offrent des séquelles

Et la question se pose aux victimes novices

Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?

Et comme toutes sont entre elles ressemblantes

Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau

Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente


Encor s'il suffisait de quelques hécatombes

Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât

Depuis tant de grands soirs que tant de têtes tombent

Au paradis sur terre on y serait déjà

Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes

Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez

Et c'est la mort, la mort toujours recommencée

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente


O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres

Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas

Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!

La vie est à peu près leur seul luxe ici bas

Car, enfin, la Camarde est assez vigilante

Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux

Plus de danse macabre autour des échafauds!

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente


Avec un sourire condescendant, Goldman a qualifié cette chanson d'obscène. Quelques jours plus tard, dans une interview, il enfonçait le clou en traitant Brassens de planqué. Moi, je traiterais bien Goldman de gros con, mais je mettrai de l'eau dans mon vin, eu égard à l'histoire de sa famille.
Comme les Juifs de sa génération, Goldman résume l'engagement (je parle de l'engagement physique, pas du débat d'idées) à la Résistance pendant la seconde guerre mondiale. S'il avait vécu à cette époque, il n'aurait pas eu à choisir son camp, d'autres l'auraient fait pour lui. Il aurait été dans le camp des persécutés, point barre. Mais qu'aurait-il fait à la place de Brassens ? Peut-être serait-il entré en résistance, peut-être se serait-il engagé dans la Milice pour casser du Juif et du communiste, va savoir. Il n'a vécu ni la misère ni la guerre, sinon par personnes interposées.

Goldman aurait mieux fait de la fermer. Lui-même n'a pas dit autre chose que Brassens dans Né en 17 à Leidenstadt :

Et qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps
D'avoir à choisir un camp

Mais comme tout ce que Goldman pourra écrire de signifiant, Brassens l'aura écrit avant lui, en mieux et en plus fort.

Quittons le contexte encore trop douloureux de la guerre de 39-45. Je défie quiconque de trouver dans le texte de Brassens une seule contre-vérité. Une seule phrase qui critique l'engagement personnel. Seul l'embrigadement et condamné.
Vouloir se tenir à l'écart de la folie des hommes, ce n'est pas se taire. Brassens ne s'est pas tu. A son époque, plusieurs de ses chansons ont été interdites. Goldman peut-il en dire autant ? Et si, comme il l'affirme, des gens se sont battus pour que Monsieur Brassens continue à gratter sa guitare, c'est grâce, entre autres, à Monsieur Brassens que Monsieur Goldman peut aujourd'hui s'exprimer librement.

La vérité d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier ni celle de demain. Qui a raison, qui a tort ? Avions-nous raison en Indochine ? En Algérie ? Avons-nous raison en Afghanistan ? A-t-on raison en Amérique, en Somalie, en Irak, au Pakistan ? A quoi ont servi tous ces sacrifices pour que nos enfants vivent mieux ? Y a-t-il plus de liberté, plus d'égalité, plus de justice, plus de paix ? La faim dans le monde a-t-elle cessé ? Les individus ont-ils tous les mêmes droits, les mêmes chances ? N'y a-t-il plus de morts de froid sur un trottoir, plus d'exclus ? Dieu est-il devenu le dieu de tous ?
Faut-il tuer pour se faire entendre ? Les mutins de 1917 étaient-ils moins héroïques que leurs compagnons morts au combat, Gandhi moins brave que Michael Collins ?

Et si les circonstances font que la lutte armée semble inévitable à certains, tant mieux si d'autres, comptant peut-être sur un utopique bon sens commun, freinent des quatre fers devant l'engrenage.

Si vis pacem, para bellum, tiens, la voilà l'idée à la con pour laquelle on meurt.

Tout ça te passe au-dessus du disque dur, hein, Toto ?
T'inquiète ! Attends qu'on fasse la guerre aux machines, tu vas comprendre.

samedi 4 octobre 2008

Aux chiottes, l'écologie...



Je te parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ©, celui où le papier toilette n'existait pas. Et comme, bientôt, il n'existera plus, ce billet d'anthologie servira à l'édification des générations futures (de la chiance-fiction, si tu veux). On va déjà supprimer le mouchoir jetable, après ce sera le tour de l'essuie-tout, enfin adviendra la disparition du PQ. Moi, je suis pour, parce que ça fait quand même beaucoup d'arbres pour pas grand-chose. En attendant, j'ai mis de côté un rouleau de Lotus™, un de Sopalin™ et un paquet de Kleenex™. Dans 20 ans, je revends ça sur Ebay ®, je me fais les couilles en or.

Donc, je vais t'expliquer par le menu la chierie de l'époque (quand je dis "menu" et "chierie", je n'évoque pas le Best Of ® de Mc Do ®, que ce soit clair).

Une petite parenthèse, parce que je commence sérieusement à fatiguer. Je voudrais que les amères loques cessent de nous gonfler avec leurs copyright, trade mark et autre registered. Je n'ai pas que ça à faire d'aller chaque fois dans la table de caractères pour copier-coller leurs logos à la con. Fermez la parenthèse.

Revenons à nos étrons.
Mon but n'est pas, tu t'en doutes, de pondre un historique détaillé et argumenté du pipi-caca (c'est pas le genre de la maison).
Je ne remonterai pas à l'Homme de Cromagnon qui, certainement chiait sans se faire chier là où il était, en vérifiant juste avant si un tigre à dents de sabre ne traînait pas dans le coin.
Je ne parlerai pas des Romains qui déféquaient en choeur sur des chiottes en pierre ou en marbre (pour les culs les plus fins), tout en taillant le bout de gras, se libérant, comme dit l'historien, à la fois le corps et l'esprit.
Je ne t'emmènerai pas non plus à Versailles où les courtisans, faute d'endroit adéquat, allaient se soulager dans les coins les plus obscurs, obligeant les valets ramasseurs de merde à un jeu de piste qui tenait du parcours du combattant. Pour Louis XIV, pas de problème, il s'installait tous les matins sur sa "chaise d'affaire", entouré d'une floppée d'admirateurs fiers d'avoir été invités à un spectacle de qualité (surtout quand le Roi Soleil avait bouffé de la tarte à la rhubarbe).

Non, je vais me cantonner au milieu du 20e siècle, la meilleure période, celle où j'étais petit et où j'avais la même culture que mon père et mon grand-père, ce qui évitait bien des désagréments d'aujourd'hui (oeil rêveur, larme perlant à la paupière, reniflement, etc...).
C'était l'époque où on ne jetait rien qui ne soit récupérable. L'époque du rémouleur, du marchand de bouteilles et du chiffonnier. L'époque où les mecs aiguisaient leurs lames de rasoir et où les femmes reprisaient leurs bas. L'époque où, à la fin de l'année scolaire, on faisait un tour chez le cordonnier, pour remettre à neuf en vue de la prochaine rentrée chaussures et cartables. L'époque où on retournait cols et poignets de chemises quand ils étaient effilochés, où, avec deux draps déchirés ou usés, coupés par le milieu, on en faisait un en bon état, récupérant les moitiés abîmées pour en faire des torchons ou des chiffons à poussière.

L'époque où, une fois que tu avais lu ton journal, tu le mettais sur une pile que tu gardais dans le coin d'un placard. Quand cette pile était trop importante, tu attendais l'heure de passage du chiffonnier auquel tu donnais tes vieux journaux et les vieux chiffons dont tu ne pouvais rien faire et qu'il refourguait pour que tout ça redevienne du beau papier journal et la boucle était bouclée. Sinon, tes journaux tu pouvais aussi les filer au poissonnier, car c'est dans des feuilles de journal qu'il emballait le poisson (jusqu'au jour où on le lui a interdit sous prétexte que l'encre d'imprimerie contient du plomb et que le plomb, les industriels préfèrent le mettre directement dans le poisson plutôt qu'autour). Ensuite tu tapais dans la pile pour tapisser le fond de la poubelle ou la litière du chat. Enfin, tu prenais un journal, tu le découpais en petits rectangles que tu accrochais à un clou à portée de main du siège d'aisance et tu te torchais les fesses avec.
Tu avais compris que c'était là que je voulais en venir ?



Plaidoyer pour la presse :
Les quotidiens, c'est l'avenir. Pour nos enfants, sauver la presse, c'est leur garder le cul propre. Et ça peut même sauver des vies (en même temps que la planète) : dans la première mouture du scénario du Temple du Soleil, on voyait un Aztèque (ou un Inca ou un Maya, ils ont tous la même tronche ces gens-là) en train de caguer dans un coin et de s'essuyer avec un morceau de journal ; Milou, fouille-merde comme tu le sais, va chercher le bout de papier pour jouer avec (il adorait le parfum) ; cette séquence a été coupée au montage, mais tu connais la suite ; attiré par l'odeur, Tintin pique le papier à Milou, éclipse de soleil, etc., etc. Je ne t'en dis pas plus.

Alors, Toto, merdique, mon billet ?
Billet de chiottes toi-même ! Non, mais...