samedi 29 novembre 2008

Brève rencontre

- Guy Môquet, vous connaissez ?

J'émerge de ma somnolence pour jeter un oeil vers celui qui s'est assis près de moi sur le banc. Haut comme trois pommes, trois pommes et demie, il est agité de mouvements nerveux et jette des regards inquiets autour de lui. Je consens à lui répondre.

- Guy Môquet ? C'est pas le mec dont l'autre banane nous a bassiné pendant des mois ?
- Tout juste, Auguste ! Je vois que je ne me suis pas trompé sur votre compte, Monsieur Jlcheche.
- Vous êtes qui ?
- Professeur Nicolaï Sarkozov, historien.
- Et vous me connaissez de quoi de qu'est-ce, Monsieur le professeur ?
- Hé, hé ! J'ai mes sources. Mais je vais tout vous expliquer...

Il a intérêt à ce que je les agrée, ses explications. Je n'aime pas trop qu'on me débarque sur le râble avec un air d'en avoir deux et qu'on en sache un peu trop sur moi. Policier ? Espion ? Dealer ? Gangster ? Il a une tête qui me rappelle vaguement quelqu'un, mais qui ? Quelque chose dans sa mise et dans son visage sonne faux, mais quoi ? Je l'ai peut-être rencontré ailleurs, mais où, mais quand ?
Je fais mine de consulter mes messages sur mon portable et, ni une ni deux, je lui tire le portrait, on ne sait jamais.





- Je vous écoute... professeur.
- Appelez moi Maître. Bien, je n'irai pas par quatre chemins. Depuis cette affaire de Guy Môquet, j'ai décidé de m'intéresser à l'Histoire et j'ai besoin de quelqu'un comme vous. J'ai vu votre blog, on est fait pour s'entendre. Subtilité, intelligence, discours péremptoire, expression des vérités premières, tout nous unit.

A partir de là, ça se mélange un peu. D'un discours entrecoupé de tics et de gestes tranchants, je retiens que Nicolaï Sarkozov occupe de très hautes fonctions (?) qui l'empêchent de mener ses recherches au grand jour. Le seul à qui il fasse confiance est un certain Guénot qui l'aidera dans sa quête et qui lui fournira de la documentation. Quant à moi, tenu au plus strict devoir de réserve, je ferai le lien avec le reste du Monde (du moins dans ce domaine-là, précise-t-il) : "je serai le Sherlock Holmes de l'Histoire, vous serez mon Watson".

- Surtout, que Carla n'en sache rien. Déjà qu'elle trouve que je la délaisse...

Qui est cette Carla (à moins qu'il n'ait parlé de Laetitia ou de Barbara), Dieu seul le sait.

Soudain, il saute sur ses pieds.

-Vite, tenez ma carte, fait-il en me tendant un bout de bristol. A bientôt, je compte sur vous !

Il part précipitamment, s'arrache des touffes de cheveux et de poils qu'il balance dans une poubelle, retire vivement son manteau qui couvre un survêtement. Je le vois s'éloigner en petites foulées dans une allée, quand deux malabars le rejoignent, l'encadrent et se mettent à courir à ses côtés.

C'est bien ma veine, ça, Toto, de tomber sur un échappé de l'asile !


mardi 25 novembre 2008

Les lois du hasard ont récidivé

Et maintenant ...



Jean-Marie Gustave Le Clézio
Prix Nobel



Johnny Hallyday
Futur retraité




Pas plus tard qu'il y a peu, je t'entretenais de ma jeunesse tumultueuse.
Pour ce faire, j'ai arpenté le web à la recherche de quelques photos qui pourraient mettre de la couleur. Comme j'évoquais brièvement Claude Réva pour les besoins de la cause, je tapai son nom dans le goût d'gueule. Et là, j'apprends qu'il est mort l'an dernier. Un mec que j'avais connu jeune et en pleine santé. Ça fait drôle. Tu me diras qu'il n'y a rien que d'ordinaire dans cet événement, la mort fait partie de la vie, etc., etc... La ferme !

Attends la suite, c'est pas pour rien que je m'échine à trouver un titre.

Depuis quelques années, lorsqu'il y avait une manifestation dans ma commune, un type la filmait, pour lui-même, pour une association, pour la mairie, je ne me suis jamais posé la question.
Bon, inutile de faire durer le suspense, c'était Claude Réva, tu l'avais compris.
Bien entendu, je n'en savais rien.
Quoi ! Je ne l'ai pas reconnu ? Comment se peut-ce ? Ben non ! On ne faisait que se croiser. Il me laissait regarder mon spectacle, je le laissais faire son film, ignorant qui il était, incapable de faire le rapprochement entre celui qui déambulait, caméra à l'épaule, et celui que j'avais rencontré il y a...quelques années.

Comme des milliers d'artistes, il avait continué à chanter loin des projecteurs, artisan de la véritable culture, celle qui se moque des parts de marché, celle qui se partage. Il avait maintenu le cap, à contre courant.



L'inconnu à la caméra



Et un petit coup de philosophie (de comptoir) :
C'est quand les gens sont morts qu'on a l'impression que ça aurait changé quelque chose de les connaître mieux.

Keskia, Toto, il est pas gai, mon billet ?
La prochaine fois, je me mettrai un nez rouge.

dimanche 23 novembre 2008

Les lois du hasard ou le mélange des genres

















Chapitre 1 : Le jour où j'ai failli avoir le Nobel de littérature.


Un train entre Paris et Nice.
Un train d'hier, avec le couloir qui longe les compartiments sur un côté du wagon.
J'avançais en tanguant, quand, levant les yeux, je vois venir vers moi... Johnny.
Oui, tu as bien lu, Johnny himself, le nôtre, le seul, l'unique Johnny Hallyday.
Celui pour qui les filles s'arrachaient le slip et les garçons cassaient les fauteuils.
Avec ses cheveux blonds ondulés et ses yeux bleu clair.
Nos regards se sont croisés trois secondes, quatre peut-être, le temps de se rejoindre, d'effectuer une petite passe tauromachique et de poursuivre chacun notre chemin : le sien jalonné d'or, de myrrhe et d'encens, le mien de centimes et de crottes de chien.
Sacré Johnny ! Sa timidité maladive l'a retenu de m'aborder. Dommage ! On aurait fait connaissance, on serait devenus copains, j'aurais passé l'été à Saint-Tropez et l'hiver à Los Angeles et j'aurais profité comme tant d'autres de sa générosité pour m'en mettre plein les poches.
Tant pis pour lui. Fin d'une belle amitié.

Tout ça pour en venir au fait.
A quelque temps de là, je traînais mes guêtres dans un village de l'arrière-pays niçois, ne me demande pas où ni pourquoi, ça ne te regarde pas. Je te plante juste le décor.

Donc un village.
Pas loin, Nice.
Une amie qui connaît des artistes et que nous appellerons Mireille, pour que cette histoire fleure bon la Provence (en fait, c'est son nom). Elle me fit rencontrer Claude Réva à ses débuts et je me fendis de quelques sous pour acheter son disque A contre courant, disque qui comportait, entre autres chansons engagées, une réponse à Mourir pour des idées (le monde est petit).
Un livre que je venais de lire : Le procès verbal de Le Clézio, un premier roman à tomber par terre écrit par un type à peine plus vieux que moi.

Un jour, Mireille me propose d'aller casser la graine à Nice avec quelques-uns de ses amis dont Claude Réva et un certain Jean-Marie l'écrivain. Ah bon, un écrivain ? Jean-Marie Le Clézio, tu connais ? Ben merde alors ! L'occasion de rencontrer ce mec de presque mon âge, déjà une célébrité, dont le roman m'avait laissé sur le cul, tu parles que j'étais d'accord.

Chapitre 2 : Le jour où j'ai eu le Nobel de littérature.

Comme tu peux t'en douter, ce repas n'a pas eu lieu pour quelque obscure raison. Sans quoi je ne serais pas là à te tenir la jambe. Je serais devenu pote avec Le Clézio, il m'aurait poussé à écrire, j'aurais pondu des best-sellers et je serais en train de me dorer la couenne en Amérique du Sud.
Le Clézio a poursuivi son chemin parsemé d'or, de myrrhe et d'encens, tandis que je poursuivais le mien plein d'ornières et de pièges à cons.

L'autre soir, je comatais devant ma télé en agitant mollement mes orteils dans mes charentaises, lorsque je vois qui, dans le poste ? Je te le donne en mille. Non, pas Johnny, essaye un peu de suivre. Le Clézio himself en personne, qui venait de recevoir le prix Nobel de littérature. Celui-là même dont j'avais lu le livre (le premier, il paraît qu'il en a écrit d'autres depuis). Je ne peux pas me départir d'une certaine fierté, conscient d'être un peu pour quelque chose dans cette reconnaissance.
Sacré Jean-Marie !

Dis donc, Toto, tu es prié de ne pas faire n'importe quoi quand tu traduis ma frappe.
Dans l'en-tête du chapitre 1, j'avais tapé "voir" et non "avoir".
Et dans celui de chapitre 2, j'avais tapé "vu" et non "eu".
Fais gaffe.