J'émerge de ma somnolence pour jeter un oeil vers celui qui s'est assis près de moi sur le banc. Haut comme trois pommes, trois pommes et demie, il est agité de mouvements nerveux et jette des regards inquiets autour de lui. Je consens à lui répondre.
- Guy Môquet ? C'est pas le mec dont l'autre banane nous a bassiné pendant des mois ?
- Tout juste, Auguste ! Je vois que je ne me suis pas trompé sur votre compte, Monsieur Jlcheche.
- Vous êtes qui ?
- Professeur Nicolaï Sarkozov, historien.
- Et vous me connaissez de quoi de qu'est-ce, Monsieur le professeur ?
- Hé, hé ! J'ai mes sources. Mais je vais tout vous expliquer...
Il a intérêt à ce que je les agrée, ses explications. Je n'aime pas trop qu'on me débarque sur le râble avec un air d'en avoir deux et qu'on en sache un peu trop sur moi. Policier ? Espion ? Dealer ? Gangster ? Il a une tête qui me rappelle vaguement quelqu'un, mais qui ? Quelque chose dans sa mise et dans son visage sonne faux, mais quoi ? Je l'ai peut-être rencontré ailleurs, mais où, mais quand ?
Je fais mine de consulter mes messages sur mon portable et, ni une ni deux, je lui tire le portrait, on ne sait jamais.
- Je vous écoute... professeur.
- Appelez moi Maître. Bien, je n'irai pas par quatre chemins. Depuis cette affaire de Guy Môquet, j'ai décidé de m'intéresser à l'Histoire et j'ai besoin de quelqu'un comme vous. J'ai vu votre blog, on est fait pour s'entendre. Subtilité, intelligence, discours péremptoire, expression des vérités premières, tout nous unit.
A partir de là, ça se mélange un peu. D'un discours entrecoupé de tics et de gestes tranchants, je retiens que Nicolaï Sarkozov occupe de très hautes fonctions (?) qui l'empêchent de mener ses recherches au grand jour. Le seul à qui il fasse confiance est un certain Guénot qui l'aidera dans sa quête et qui lui fournira de la documentation. Quant à moi, tenu au plus strict devoir de réserve, je ferai le lien avec le reste du Monde (du moins dans ce domaine-là, précise-t-il) : "je serai le Sherlock Holmes de l'Histoire, vous serez mon Watson".
- Surtout, que Carla n'en sache rien. Déjà qu'elle trouve que je la délaisse...
Qui est cette Carla (à moins qu'il n'ait parlé de Laetitia ou de Barbara), Dieu seul le sait.
Soudain, il saute sur ses pieds.
-Vite, tenez ma carte, fait-il en me tendant un bout de bristol. A bientôt, je compte sur vous !
Il part précipitamment, s'arrache des touffes de cheveux et de poils qu'il balance dans une poubelle, retire vivement son manteau qui couvre un survêtement. Je le vois s'éloigner en petites foulées dans une allée, quand deux malabars le rejoignent, l'encadrent et se mettent à courir à ses côtés.
C'est bien ma veine, ça, Toto, de tomber sur un échappé de l'asile !
